À priori, rien ne destinait Paul Legastelois, à faire carrière dans l’aviation.
Son père, fils de petits paysans, devenu notaire, officiait à Sourdeval, dans la Manche. C’est là que Paul est né, en 1905. Suivant les traces paternelles il avait fait l’école de notariat de Paris et avait commencé à travailler comme clerc dans l’étude de son beau père, lui aussi notaire, à Saint Lô.
Mais cette vie si étroitement rangée ne lui convenait pas et, s’il n’en dit mot, son organisme réagit bientôt par de fréquents évanouissements. Consulté, le médecin déclara que « ce jeune homme n’était pas fait pour la vie de bureau et devrait vivre « en plein air ».
Le conseil de famille se réunit autour de Paul et de sa jeune épouse pour réfléchir aux issues possibles. On ne sait comment la discussion se termina sur cette conclusion : deux professions permettraient à Paul de vivre au grand air : paysan ou aviateur !
– Paysan ? s’exclama Paul. Jamais ! Je serai aviateur.
« Jeune homme, lui répond Réné Caudron, je veux bien vous embaucher, mais à condition que vous achetiez l’avion avec lequel vous travaillerez … et avec lequel vous vous tuerez certainement ! »
En 1939, mobilisé dans l’armée de l’air comme pilote-instructeur, Paul est affecté à la base aérienne de Caen. La naissance de son quatrième enfant le rend à la vie civile quelques mois plus tard.Il n’est plus question de vendre des avions de tourisme pendant la guerre. Paul monte un garage où l’on adapte les voitures au gazogène. Mais dès 1945, il retrouve le milieu de l’aviation et crée à Neuilly l’Agence aéronautique Legastelois, qui vend des avions de tourisme, puis de transport, et la société « Tout pour l’avion » qui fournit à ses clients des pièces détachées. C’est l’époque où la SCAN lance sur le marché le Norécrin un petit bijou dont Paul devient vite le vendeur quasi exclusif. Il en expose un exemplaire au premier salon de l’aviation de l’après guerre qui se tient sous la coupole du Grand Palais à Paris en novembre 1946.
En 1948, pour promouvoir ce si joli monoplan à aile basse et train rentrant, il organise, avec le soutien de la SNCAN, La « Croisière bleue » : 22 Norécrins font le tour de la Méditerranée : Toussus-le-Noble, Naples- Tunis- Bône – Alger – Boufarik – Oran – Rabat – Marrakech – Agadir – Casablanca – Tanger – Porto – Biarritz – Tours Toussus-le-Noble.
Paul Legastelois est alors président de la chambre de commerce de l’aéronautique.
Avec la période de l’après guerre le marché de l’aviation connaît un développement considérable. Pour monter leur flotte, les nombreuses compagnies qui se créent dans toute l’Europe et dans les colonies, ont recours au gigantesque marché d’appareils d’occasion né des surplus militaires. « Tout pour l’avion » devient bientôt « Centravia ». Installée cité Canrobert, dans le 15è arrondissement de Paris, la société dispose d’un entrepôt sous douane pour les pièces de rechange. Quand à l’agence aéronautique Legastelois, elle ne vend plus seulement des Norécrins et autres appareils de tourisme, mais des Dragons rapides Dehavilland, et bientôt des Douglas DC3 « Dakota », voire même un DC4 que Paul va acheter aux Etats-Unis pour le compte d’un client. L’agence est le représentant en France du constructeur britannique Auster.
La guerre d’Indochine a créé un nouveau marché. L’armée de l’air y est en effet peu présente et les missions de ravitaillement des postes isolés sont confiées à diverses petites compagnies civiles. Le Dakota est l’avion idéal. Paul fait, à l’époque, de fréquents séjours à Saïgon. La compagnie Aigle Azur est l’un de ses principaux clients.
A Paris, l’Agence et la société Centravia connaissent des années prospères. Paul emploie une dizaine de collaborateurs, dont une femme extraordinaire : Miss Roy Mary Sharpe, squadron leader dans la RAF pendant la guerre.
La fin de la guerre d’Indochine, puis l’indépendance de l’Algérie sonneront le glas de ce flux commercial. Dans le même temps, les grandes compagnies se sont développées au détriment des petites. Elles achètent désormais de plus en plus d’appareils neufs. En 1958 Paul dissout la société Centravia et, peu après, met fin aux activités de l’agence. Il s’installe dans les Alpes Maritimes où il entame une carrière d’agent et de promoteur immobilier.
La page de l’aviation est alors tournée pour Paul Legastelois, mais elle n’est certes pas effacée de la mémoire de ses enfants. Comment, en effet, oublier le plaisir de ces dimanches passés au bord de la piste, à Toussus-le-Noble ou Guyancourt, les salons de l’aviation du Bourget, le baptême de l’Air donné par son propre père, les récits de vols passionnants, voire d’accidents dont Paul eut la chance de se tirer sans autres conséquence qu’un nez cassé … « J’ai la baraka » disait-il en évoquant aussi ces deux avions de ligne qui s’écrasèrent et dans lesquels il aurait dû se trouver si un imprévu ne lui avait fait manquer le départ.
Paul Legastelois est mort, à Vence, le 24 décembre 1977.