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Il y a 70 ans : la dernière mission du commandant Edmond Marin la Meslée (4 février 1945)

Portrait d’Edmond Marin la Meslée réalisé au début des années cinquante par l’épouse du colonel Jean Mary-Accart
Il y aura soixante-dix ans dans quelques jours disparaissait tragiquement le commandant Edmond Marin la Meslée, as des as de la campagne de France 1939-1940, héros de l’Armée de l’air qui, pendant plus d’un demi-siècle, fut le parrain de la base aérienne 112 de Reims. Un anniversaire qui, en de multiples endroits, sera célébré le 4 février 2015, notamment à Dessenheim près de Colmar, sur la base aérienne 133 de Nancy-Ochey et à Reims, mais aussi jusqu’au cœur de Paris, sous l’Arc de Triomphe, où la flamme, à 18 h 30 précises, sera ravivée en son nom sur la tombe du Soldat inconnu. Dans la perspective de ces célébrations, voici le récit de la dernière mission effectuée par cet as de guerre, celle du dimanche 4 février 1945, au cours de laquelle, à la veille de son trente-troisième anniversaire, le commandant du groupe de chasse I/5 « Champagne » fut abattu par la Flakau-dessus de l’Alsace à bord de son Republic P-47 Thunderbolt.

Edmond Marin la Meslée, chevalier de la Légion d’honneur et titulaire de la croix de guerre 39-45 avec dix citations.

Dimanche 4 février 1945 sur le terrain d’aviation de Tavaux, aérodrome de fortune situé à une dizaine de kilomètres de Dôle sur lequel les chasseurs-bombardiers du groupe de chasse I/5 « Champagne » sont déployés depuis octobre 1944. Le commandant Edmond Marin la Meslée vient d’apprendre sa mutation prochaine dans un état-major ou au sein d’une école ; il sait qu’il effectue là ses dernières missions de guerre. Ce qu’il attend surtout, c’est la naissance imminente de son cinquième enfant, pour laquelle il compte partir quelques jours en permission à Montargis où il a installé sa famille rapatriée d’Afrique du Nord. Et puis c’est aussi la veille de son anniversaire : il soufflera sa trente-troisième bougie le lendemain.

Comme chaque jour vers trois heures du matin, les ordres sont parvenus aux opérations du groupe de chasse installées dans une misérable baraque située à l’extrémité de l’aérodrome. Ils comportent comme objectif principal le village allemand d’Hügelheim (situé à cinq kilomètres au nord-est de Neuenburg) et, comme objectif secondaire, des portières de ponts – c’est à dire des ponts constitués de chalands assemblés – repérées sur le Rhin au sud-est de Heiteren ; une reconnaissance armée est également demandée sur la zone de Breisach, Freiburg, Müllheim et Lörrach. L’effort doit être porté sur ces fameux points de passage obligés enjambant le fleuve et, naturellement, sur les petites routes qui y aboutissent ; les colonnes de véhicules et le trafic ferroviaire devront être harcelés. Cette mission doit être opérée par un dispositif composé de onze Republic P-47 Thunderbolt équipés chacun de deux bombes de cinq cents livres en plus de l’armement embarqué (huit mitrailleuses de 12,7 millimètres).

Sous un ciel chargé qui annonce la pluie, Edmond Marin la Meslée donne ses ordres. Il commandera la première mission de la journée pour pouvoir, dès son retour, se consacrer à ses occupations au sol. Le dispositif s’articulera en trois patrouilles. La première sera constituée de lui-même (il en sera le leader et aura « Marina » pour indicatif), du lieutenant Welvert, du sergent-chef Uhry et du sergent Costille. Le sous-lieutenant Muselli (indicatif : « Muso ») commandera quant à lui la deuxième avec pour rôle la patrouille basse, formation composée du sergent-chef Commenoz et du sergent Boursier. La troisième patrouille – dénommée « Top Cover » car elle couvrira les deux autres – aura pour leader le lieutenant Tesseraud (indicatif : « Tessa ») et sera composée du lieutenant Belleville, du sous-lieutenant Bouilly et du sergent-chef Socquart. L’officier renseignement, après avoir distribué les photographies prises de l’objectif, insiste bien sur les secteurs particulièrement défendus qui, autant que possible, devront être évités. Puis le commandant Marin la Meslée présente son briefing qui, comme à son habitude, est court et très précis : les axes d’attaque et de dégagement sur le lieu de franchissement du Rhin sont détaillés. « La région est truffée de Flak, comme vous le savez. Il faut donc s’attendre à être tiré comme d’habitude, oui, comme d’habitude. Tous connaissent l’endroit, il n’y a donc pas de surprise à attendre. Il y aura de la Flakcomme les autres jours, ni moins, ni plus sans doute » rappelle-t-il à ses pilotes.

À 8 h 50, les onze appareils décollent. L’heure d’arrivée sur l’objectif a été fixée à 9 heures 30 et l’atterrissage à 12 heures 40. La première mission, conduite par le commandant Edmond Marin la Meslée, doit permettre de bombarder un village en Allemagne à titre de représailles. Toutefois, au cours du vol, alors que les appareils se dirigent vers leur objectif à une altitude moyenne de 8 000 pieds (soit 2 400 mètres), Remedy (l’indicatif radio du poste de commandement du 1ercorps aérien de Mulhouse) annule la mission initialement prévue et lui assigne un nouvel objectif : le bombardement des portières de ponts situées sur le Rhin entre Chalampé et Neuf-Brisach. Cette zone est redoutée des pilotes car extrêmement dangereuse, « Une des plus grandes concentrations de Flakjamais connue » selon le général Rouquette, un secteur où les pilotes « ont laissé beaucoup de plumes les jours précédents ». Arrivés au-dessus de la plaine d’Alsace et alors que les conditions météorologiques sont exécrables, évoluant entre des couches de nuages fragmentaires à tous les niveaux, les pilotes sont effectivement accueillis par les tirs nourris d’une DCA très dense et habile qui, toutefois, n’empêcheront pas le bombardement prévu et ne causeront pas de pertes.

Remedy demande alors le mitraillage de véhicules ennemis évoluant sur la route entre les villages alsaciens de Balgau et de Dessenheim. Pour Marin la Meslée, la mission semble difficile. « La visibilité est très mauvaise, voile de nuages à trois cents mètres. Je vais essayer. » répond-il à Remedy avant de descendre à nouveau sous les nuages avec sa patrouille. Le convoi est repéré et le commandant le vise, malgré la défense antiaérienne. Il remarque un camion-citerne, une cible inespérée qui retient toute son attention et qui ne tarde pas à exploser. Bientôt, un autre prend feu. Un troisième sera endommagé. Mais au cours de cette première passe, le sergent-chef Uhry, en quatrième position dans la patrouille, a été touché de plein fouet par un obus et son avion est allé s’écraser au sud-est du petit village de Rustenhart sans que ses coéquipiers s’en aperçoivent.

L’attaque du convoi allemand. Sitôt repéré le convoi ennemi, Edmond Marin la Meslée remarqua un camion-citerne, cible inespérée qui retint toute son attention et qui ne tarda pas à exploser. Bientôt, un autre prit feu. Un troisième allait être endommagé.

De nature décidée mais habituellement prudent, Marin la Meslée, n’ayant probablement pas pu mesurer toute l’intensité de la Flakcompte tenu de sa place de leader, décide alors, après avoir repris un peu de hauteur, de revenir sur l’objectif et d’effectuer un second passage. Une manœuvre qu’il a pourtant toujours interdite à ses pilotes : « Il ne faut jamais renouveler une attaque » stipulent par deux fois – et en caractères gras – les consignes de manœuvres de l’aviation de chasse. Le sort en est jeté : Marin la Meslée ne reviendra pas de cette dernière mission. Compte tenu des mauvaises conditions météorologiques – une légère couche nuageuse se déplace en effet à trente mètres d’altitude environ et l’empêche de voir nettement les résultats de son mitraillage –, il fait descendre son appareil à une centaine de mètres et recommence à tirer en piqué sur l’objectif. Arrivé à cinquante mètres du sol, il entame alors un virage lorsqu’un obus de quarante millimètres frappe soudain le fuselage arrière de son avion, juste derrière la plaque de blindage. Marin la Meslée, qui se penchait probablement pour voir le résultat de son mitraillage, reçoit un éclat d’obus à la base du crâne. Le sergent Costille, équipier gauche du commandant qui suivait aile dans aile son chef de patrouille, voit alors l’avion – qui n’est visiblement plus piloté – piquer vers le sol en virant, avec de la fumée. Le Republic P-47 Thunderbolt glisse sur le sol après avoir touché de l’aile à grande vitesse sous une incidence très faible ; il perd son moteur qui roule très loin et une partie de la voilure. L’avion, qui a percuté le sol à environ deux kilomètres de l’endroit où s’est écrasé le sergent-chef Uhry, s’immobilise enfin après s’être éparpillé sur près d’un kilomètre. Il ne se désintègre pas et ne brûle pas non plus. C’en est fini : le commandant est mort. Une patrouille d’un groupe voisin qui opérait dans les parages, à peu près au même moment, voit un de ses pilotes s’écraser au sol ; un autre très gravement touché peut néanmoins se poser sur le ventre dans les premières lignes amies.

Les restes du chasseur-bombardier Republic P-47 Thunderbolt du commandant Edmond Marin la Meslée, photographiés sur les lieux du crash en février 1945. C’est dans la plaine d’Alsace, au sud-est de Colmar, tout près de Neuf-Brisach, à mi-chemin entre les villages de Dessenheim et de Rustenhardt, que s’écrasa l’avion du commandant Marin la Meslée.
La mort du commandant, connue immédiatement par Remedy, arrive au groupe avant même que la patrouille ne soit posée. Le choc pour les pilotes est très dur. En dehors du chef aimé qu’ils perdent, le commandant Edmond Marin la Meslée représentait un pilote à qui la chance devait toujours sourire. L’aviation française perdait en lui son as de la campagne de France et l’un de ses futurs grands chefs, à la noblesse de caractère et l’élévation d’âme connues de tous. La nouvelle, connue des états-majors, y sema immédiatement la consternation et l’agitation. On se rendait compte, enfin, de la terrible densité de la Flak, densité qui aurait peut-être pu être prévue dans la mesure où elle avait participé à tous les reculs allemands, en particulier ceux de Montélimar et de Belfort. L’état-major rappelle pourtant la consigne permanente de ne jamais revenir au-dessus de l’objectif : afin d’éviter que les avions repassent au-dessus du point qu’ils viennent de bombarder, il est convenu que leurs mitraillages seront donnés par Remedy en même temps que les bombardements, ce qui avait toujours été demandé mais n’était pas rigoureusement observé. Le mauvais temps empêchant les missions, les pilotes du groupe restent toute la journée en tête-à-tête avec leur tristesse. Leur moral est très touché par cette double disparition. Deux officiers partent prévenir la famille du commandant avec tous les ménagements qui s’imposent pour sa femme qui, d’un jour à l’autre, attend un enfant.

Les soldats allemands qui relevèrent le corps du pilote reconnurent celui de l’un des as de l’aviation française. Il voulurent lui rendre les derniers honneurs mais furent délogés de la région de Neuf-Brisach par nos troupes. Ce ne fut que le 10 février, alors que la plaine d’Alsace était définitivement libérée, que le groupe de chasse I/5 apprit la découverte du corps de son chef et de celui d’Uhry, son équipier, dans le presbytère de Rustenhardt où ils reposaient. Le corps du commandant, retiré intact des débris de son appareil, reposait couché sur un lit. Ce même jour parvint la nouvelle que madame Marin la Meslée venait de mettre au monde une petite fille : Florence, née le 8 février.
Que s’est-il passé ? Sans doute la couche de nuages se déplaçant à faible altitude a-t-elle empêché Marin la Meslée de voir nettement les résultats de son mitraillage. N’ayant pu mesurer l’intensité de la Flakà cause de sa place de leader, il est revenu sur l’objectif dans une zone où il ne se savait pas guetté. Et aussi, dira Jules Roy, « parce que c’était son dernier vol en guerre, il s’acharna. Il voulait rentrer avec un goût de victoire dans la bouche, qui lui rappelât quelque chose du temps où cela avait un sens, et pour l’avoir, il ne lui restait plus alors qu’à tenter sauvagement la mort la plus stupide. » Sorti indemne de son premier piqué, il y revint, bien qu’il eût interdit à ses pilotes de ne jamais en faire autant. Il prit du champ et se jeta sur les canons qui ne voulaient pas se taire. Et c’est là qu’il perdit.

« L’autre guerre nous a donné Guynemer. L’entre-deux-guerres vit grandir et mourir Mermoz. Cette guerre-ci restera éclairée pour toujours de votre lumineuse figure. Marin la Meslée, pur et grand soldat de l’Armée de l’air. » (Extrait de l’éloge funèbre prononcé par le général René Bouscat, lors des obsèques du commandant Marin la Meslée).

 

Le 12 février, les obsèques des deux pilotes furent célébrées à Rustenhart par l’abbé Weber, le prêtre du village. « Paris vous parle : Marin la Meslée est mort… L’un des plus vaillants pilotes de l’aviation française a été abattu. » C’est en ces termes que la radio annonça officiellement le 16 février 1945, à 21 h 40, la « mort au champ d’honneur » du commandant Marin la Meslée. « Je ne peux me consoler de ce qu’il soit tombé sans combat, comme un chevalier atteint de loin, à tout hasard, par la piétaille » dit en apprenant sa mort le général René Bouscat, inspecteur général de l’Armée de l’air et commandant des forces aériennes engagées. Au soir du 26 février, le groupe rendit son dernier hommage à son commandant. Dans le cimetière, une section de tirailleurs lui rendit les honneurs en présence de nombreuses personnalités et de délégations de toutes les unités de l’Armée de l’air. A la suite d’un émouvant discours, le général Bouscat remit à Philippe, fils de Marin la Meslée, la croix de guerre ornée de la palme que lui a valu sa dernière citation.
Lors des funérailles d’Edmond Marin la Meslée, célébrées le mardi 20 février 1945 sous les voûtes de la collégiale Notre-Dame de Dôle. De gauche à droite : le général René Bouscat commandant le 1ercorps aérien français, le jeune Philippe Marin la Meslée, sa mère Élisabeth et son grand-père paternel Athelstan.
A la fin de la guerre, les compagnons d’armes du commandant Marin la Meslée décidèrent de lui construire un monument en forme d’étoile à cinq branches sur la commune de Dessenheim, à l’endroit où la Flakl’avait abattu. Le 29 juin 1946, lors de son inauguration, le général Bouscat fit de nouveau part de son admiration à l’égard de ce pilote : « Etre d’exception, rassemblant les plus belles vertus humaines, héros de l’armée de l’Air entré debout dans l’histoire, Marin la Meslée fut grand parmi les grands. Mais il était plus grand encore car il était de ceux qui savent s’abaisser pour mieux s’élever vers les sommets qui éclairent et guident les hommes. » 
 

Le monument funéraire du commandant Marin la Meslée à Dessenheim. Sitôt la guerre finie, les compagnons d’armes du commandant Marin la Meslée firent construire un monument en forme d’étoile à cinq branches sur le territoire de la commune de Dessenheim, à l’endroit où la Flakl’avait abattu. Ce monument fut inauguré le samedi 29 juin 1946.
Quatre ans plus tard, le 13 juin 1950, le corps du commandant y fut transféré. Il y repose désormais, sous une stèle qui porte gravé le texte de sa dernière citation. « Il était déjà [en 1941] touché par l’immortalité qui l’attendait quatre ans plus tard, dans le fracas de sa chute en Alsace, trop beau mais surtout trop pur pour un long passage sur la terre » écrivit Jules Roy, préfaçant au début des années cinquante l’ouvrage « Marin la Meslée » de Michel Mohrt. Le sergent-chef Uhry, qui avait perdu ses parents ainsi que son unique frère tombé dans les Ardennes au début de la guerre, reposa longtemps au cimetière de Rustenhart avant que sa dépouille ne soit finalement transférée à la nécropole nationale de Sigolsheim lorsqu’elle fut créée au début des années cinquante. Il y repose désormais parmi d’autres nombreux braves tombés pour la France et la libération de l’Alsace.

Frédéric Lafarge
délégué au patrimoine historique de la base aérienne 102 de Dijon
ancien conservateur du Musée de la BA 112 et de l’Aéronautique locale (Reims)

Georges Rollin ingénieur de recherche et le Laté 631

Laté 631 ©Philippe Rollin

Un grand merci à Philippe ROLLIN qui nous  fait partager des extraits des mémoires de son père en tant qu’ingénieur aéronautique :

Georges ROLLIN (4 juillet 1915-13 juillet 2001) a fait toute sa carrière d’ingénieur dans l’aéronautique, depuis sa sortie de l’école en 1935 – période des balbutiements de la mesure – jusqu’à sa retraite en 1980.  C’est à l’ONERA qu’il a terminé sa vie professionnelle comme spécialiste des mesures, responsable des installations et équipements de l’Aérodynamique à CHALAIS MEUDON de 1972 à 1980.

En 1994, il a entrepris la rédaction des ses mémoires, s’étant mis à près de 80 ans à l’utilisation de l’ordinateur. Ces mémoires, terminés en 1998, comportent une part de souvenirs personnels, de commentaires sur l’évolution des techniques montrant son esprit toujours curieux mais logique et critique, et d’interrogations que se pose tout homme au terme de sa vie. Le texte est également émaillé d’anecdotes humoristiques. En voici un premier extrait qui se situe juste après guerre.

 

 

Georges Rollin

Le Latécoère 631 à Biscarrosse .
    Assemblage  et  mise  au  point  .

Juste avant la guerre, l’industrie aéronautique française a eu l’ambition de construire les plus gros hydravions : 6 moteurs , 50 m. d’envergure , 70 tonnes. La réalisation en a été confiée, d’une part à la SNCASO à Marignane et d’autre part à LATECOERE, dirigé par M. Moine.
Plusieurs prototypes ont été réalisés, mais, à la fin de la guerre il ne restait plus qu’un SO 200 à Marignane que les allemands ont enlevé et coulé dans le lac de Constance à Friedrichshafen, et le LATE 631 « Lionel de Marmier »(1) en construction à Toulouse d’où il a été transféré en pièces détachées, par la route, à Biscarrosse à la fin de la guerre .

Le G.R.A. (Groupement français pour le développement des Recherches Aéronautiques) a obtenu que nous participions aux vols de mise au point pour effectuer nos propres recherches. Ce travail m’a été confié et j’ai déplacé en permanence à Biscarrosse une équipe de trois techniciens pour effectuer les équipements nécessaires. Nous avons donc assisté à l’arrivée des différents éléments, ce qui représentait un certain nombre de convois hors normes, notamment la coque en plusieurs morceaux et les ailes pour lesquelles il fallait déplacer des lignes électriques et téléphoniques et élargir des ponts, et assisté également au montage dans le hangar des Hourtiquets .
Les éléments de la coque arrivant en premier devaient être assemblés sur un berceau avant que les ailes ne parviennent . Le hangar des Hourtiquets avait 100 m. d’ouverture face à l’étang, séparé en deux par un pylône limitant les ouvertures effectives à 50 m. Le « spécialiste » du montage fit installer la coque approximativement au milieu d’une des travées et la première aile (la droite) arrivée fut montée et assemblée, soutenue par des berceaux du côté libre du hangar,  si bien que lorsque la deuxième aile arriva, il fut impossible de la monter car elle aurait dépassé de 1,50 m. la paroi . Comme il était impossible de déplacer la coque et son unique aile en porte-à-faux , le chef décida de couper 2 m. de l’extrémité de l’aile, en se contentant d’envoyer au bureau d’études de Toulouse un télégramme: « Avons coupé 2 m. de l’aile gauche, prière d’envoyer plan de raccordement ». Ce qui a posé des problèmes notamment pour l’équilibrage. L’assemblage des éléments a finalement été achevé et l’avion, recentré dans le hangar, avait belle allure, mais un soi-disant responsable s’est quand même inquiété de l’allure avec laquelle ce travail avait été effectué, ce qui a fait découvrir que le riveteur, pour se faciliter le travail, n’avait pas utilisé les rivets prévus spécialement traités envoyés de Toulouse, mais avait préféré des rivets mous découverts par hasard dans un magasin local. Ces rivets n’ayant pas la résistance voulue, il n’y avait plus qu’une solution, les faire sauter à la perceuse et repartir à zéro. Les retards commençaient ainsi à s’accumuler .
C’est alors que commença le travail d’équipement intérieur et surtout l’équipement technique, c’est à dire les liaisons du poste de pilotage à tous les organes et principalement aux six moteurs.

Georges Rollin (3 ème en partant de la gauche) lors de l’installation de l’explorateur de couche limite. ©Philippe Rollin

Les nacelles  des moteurs et les moteurs eux-mêmes étaient accessibles par un tunnel formé par la paroi du bord d’attaque et le longeron de l’aile, un chariot sur rails était prévu pour le déplacement du personnel jusqu’au droit du troisième moteur et même au delà où la section était encore suffisante pour le passage d’un homme allongé et les bras en avant pour effectuer certains travaux ; c’est ce moyen que nous avons utilisé pour l’équipement en prises de pression vers l’extrémité de l’aile, grâce au dévouement d’un technicien longiligne spécialement entraîné. Il était relié par un câble au responsable de l’opération qui rappelait de toute urgence le chariot et son collègue en cas de nécessité.

Le fonctionnement et le contrôle des moteurs demandaient trois types d’équipements : un équipement tubulaire pour l’alimentation en carburant et le contrôle de certaines pressions, un équipement mécanique « commandes Jacoté » actionnant notamment les accélérateurs, un équipement électrique pour la commande et le contrôle de nombreuses fonctions ; d’où l’intervention de trois entreprises extérieures auprès desquelles  les marchés avaient été passés. Il était prévu par le Bureau d’études Latécoère que ces équipements soient fixés sur la face frontale du longeron avant de l’aile, ce qui laissait libre passage au chariot.

Les trois équipes d’installateurs se sont présentées les unes après les autres sans avoir de contacts entre elles et sans surveillance d’un responsable local. L’équipe d’électriciens fit aisément son travail, mais la seconde chargée du montage des commandes trouvant que l’emplacement occupé par les lignes électriques lui était préférable prit la liberté de les enlever pour s’installer à leur place.

La troisième équipe chargée des tubulures agissant de même, on ne s’aperçut du désastre qu’au moment où les mécaniciens de la base voulant démarrer les moteurs n’obtinrent aucune réaction . Le travail a donc été repris en exigeant la présence simultanée des trois équipes.

Comme les retards s’accumulaient, je ne venais personnellement à Biscarrosse que tous les quinze jours pour m’assurer de l’avancement du montage de nos équipements de mesure et limiter le nombre de techniciens au strict nécessaire. C’est alors que je m’aperçus que l’avion changeait de couleur à chacun de mes passages : blanc-bleu-vert-rouge-métallisé, puis de nouveau blanc…..Je me suis alors risqué, sur la pointe des pieds, à demander au responsable du chantier quand il serait fixé sur la couleur de l’appareil. Ma question le laissa perplexe, mais il se décida quand même à voir le peintre qui candidement lui fit remarquer qu’il était peintre et que son métier était de peindre. Comme il disposait de bidons de 200 litres de couleurs les plus variées, il en était à sa 7 ème couche, ce qui représentait en gros 700 kg de peinture, c’est à dire le poids d’une dizaine de passagers. Il reçut l’ordre de tout gratter et on ne laissa à sa disposition qu’un bidon de la couleur choisie.

Sonde de référence en bout d’aile du Laté 631 ©Philippe Rollin

La possibilité d’un premier vol est enfin apparue. De notre côté nos équipements étaient en place :
– Anémoclinomètre(2) sur une perche en bout d’aile,
– Ceinture de prises de pression à la paroi dans une section d’aile choisie pour sa pureté,
– Double peigne rotatif de sillage monté à l’extrémité d’un mât fixé sur l’extrados,
– Double grappin de prises de pression pour les mesures à différentes altitudes dans la couche limite, ce dispositif étant constitué de deux peignes de prises de pression fixés à l’extrémité d’un bras monté sur un chariot central parcourant le profil de l’aile dans une zone choisie.Ces dispositifs étaient motorisés et toutes les télécommandes ainsi que les informations électriques et pneumatiques étaient centralisées au poste de commande installé à l’intérieur de l’aile au voisinage de l’emplanture, ce qui donne une idée de la dimension de l’hydravion. Tous les enregistreurs photographiques étaient également concentrés à cet endroit relié téléphoniquement au poste du chef des opérations situé près du pilote ; ce qui permettait de déclencher les mesures  pour des configurations de vol choisies au départ.

Fonctionnant sur le 24 volts continu de bord, nos équipements furent rapidement accusés d’introduire des masses intempestives qui gênaient le pilotage. Aussi, pour couper court à toute contestation, j’ai installé une alimentation indépendante constituée par une génératrice 24 volts entraînée par un moteur 24 volts qui seul était en liaison avec le circuit de bord et donc facile à contrôler.

Toutes les pressions des différents peignes étaient mesurées en différentiel avec la pression statique  fournie par l’anémoclinomètre(2) préalablement taré. Désirant vérifier ce tarage par rapport à la pression statique vraie du lieu du vol, j’avais prévu de larguer sous l’avion une sonde : imaginez une bombe munie d’ailettes stabilisatrices, prolongée à l’avant par une sonde de pression statique et suspendue en son centre de gravité à un mât articulé relié à un câble associé à un tube de renvoi de la pression, câble commandé par un treuil. Cette sonde, au départ, était solidaire d’un mât berceau dépassant à l’extrémité de la queue  par l’écubier arrière. Malheureusement lorsque j’ai largué la sonde, elle fut prise dans le tourbillon des hélices, et la voyant décrire de grands cercles au voisinage de l’empennage et risquant de le percuter, j’ai cisaillé le câble libérant la sonde qui est allé se planter quelque part dans le terrain de Cazau que nous survolions. Je n’en ai jamais entendu parler…donc tout s’est bien passé .

Nous avons participé à tous les vols de mise au point. Je me tenais généralement dans le vaste salon derrière le poste à double commande de pilotage, salon largement vitré pour admirer le paysage dans tous les azimuts. Nous parcourions en général le littoral de l’Espagne à la Gironde à différentes altitudes, ce qui nous permettait de suivre le travail de déminage des plages, et nous avons terminé par un vol de longue durée (6 heures) au cours duquel j’ai pu admirer la Bretagne comme sur une carte Michelin à 3000 m. au dessus de Rennes.

Des incidents, nous en avons eu, j’en évoquerais deux :
Le premier fut une panne de servocommande, c’est à dire que tout l’effort de manœuvre du manche à balai et du palonnier est à la charge du pilote ; j’ai vu alors le pilote et le copilote crispés sur les commandes, la figure congestionnée et ruisselante de sueur, les muscles bandés jusqu’à l’amerrissage.
Le second a eu lieu lors d’un décollage raté à pleine charge où l’avion s’est trouvé au départ au 2ème régime, c’est dire très cabré et ne pouvant que péniblement prendre de la vitesse et de l’altitude. La dimension de l’étang étant réduite, il n’était pas question de virer et de se poser ; il fallait à tout prix atteindre la mer. Seulement entre l’étang et la mer il y a une dune boisée d’une certaine hauteur qu’il fallait franchir. J’ai vu alors le « magnifique » spectacle des sommets des pins s’écartant devant la coque  et se faisant déchiqueter par les hélices. L’océan a pu être atteint et le pilote a pu piquer et repasser au 1er régime.

Comme tout a une fin, lorsque la moisson de mesures a été jugée suffisante, nous avons abandonné les essais (le dernier vol ayant eu lieu le 31-01-1947) et, après avoir déséquipé l’hydravion, nous avons regagné Toulouse où nous attendait le transfert du G.R.A. à l’ONERA à Paris . C’est donc dans le cadre de l’ONERA que le dépouillement des enregistrements a été effectué.
Ces vols ont été très enrichissants pour toute mon équipe et pour moi-même et ont laissé  des souvenirs souvent évoqués . Malheureusement, quelque temps plus tard, à la suite d’un blocage de gouverne, ce bel avion s’est abîmé dans les flots avec tout l’équipage qui nous était cher, sauf  notre pilote appelé à d’autres fonctions dans la Marine .

Pourtant cet appareil était d’une robustesse à toute épreuve, quand on pense que sur l’exemplaire précédent, le pilote ayant demandé à un mécanicien de s’assurer de la réserve de carburant restant dans la soute, celui-ci a déboulonné le couvercle et allumé son briquet pour mieux voir le niveau : l’explosion qui s’ensuivit  détruisit tout l’aménagement intérieur et gonfla la coque…mais le pilote  réussit à amerrir.

Pour conclure sur une note plus gaie, je dois avouer que cet hydravion aux lignes magnifiques étudiées dans les moindres détails en soufflerie comportait un grosse erreur sur un point d’aérodynamique …..l’étude des W-C.. . Comme cet appareil était destiné à voler au dessus de l’eau et à une altitude de 3000 m. environ, il n’était  pas venu aux ingénieurs l’idée de procéder à la mise en réserve des produits récoltés dans ces W-C. comme on le fait actuellement sur les avions de ligne. Il était plus simple d’opérer une évacuation immédiate vers l’extérieur au delà du 2ème redan .
Le siège du cabinet comportait une ouverture circulaire confortable se prolongeant jusqu’à sa sortie de la coque par une tubulure conique d’un mètre de long environ, constituant sans le savoir une soufflerie du type vertical utilisée pour l’étude de la vrille des avions sur maquette en vol libre. Dans cette soufflerie, la vitesse de l’air dirigé de bas en haut diminue avec l’altitude, si bien que si la maquette descend dans le tube, elle rencontre un air à vitesse supérieure qui la ramène à la position d’équilibre initiale. Il en est de même dans la tubulure du W-C., la pression intérieure de la cabine inférieure à la pression atmosphérique extérieure provoque un écoulement vertical de bas en haut dont la vitesse est modulée par l’obstruction plus ou moins importante de l’orifice supérieur. Cette circulation d’air frais est d’ailleurs particulièrement appréciée en été. Vous apercevez donc que les produits déposés tombent jusqu’à une position d’équilibre dans le courant ascendant. Mais lorsque vous libérez l’orifice, l’appel d’air est tel que les produits sont violemment projetés vers le haut et vous atteignent en pleine « figure », ce qui est vraiment désagréable. Toutefois cet effet est variable car il dépend de la densité et de la fluidité des produits déposés.
Cette situation n’avait pas échappé à mes techniciens. L’un d’eux, particulièrement facétieux (il a même terminé sa carrière auprès de De Funès pour la mise au point de ses gags) avait mis au point une technique infaillible pour piéger le premier utilisateur venu ; en dégageant légèrement le couvercle de fermeture, il introduisait une certaine quantité de liquide, de l’eau propre en principe, qui restait alors en suspension. Le premier client soulevant brusquement le couvercle recevait cette eau  » en pleine poire ». Il ne restait plus qu’à attendre la fin des opérations pour  jouir discrètement de l’air ahuri de l’utilisateur piégé, se demandant comment les embruns de la mer survolée avaient pu parvenir jusqu’à lui….il aurait pu se rendre compte que l’eau reçue n’était pas salée.

(1) Le LATE 631 « Lionel de Marmier » n°2 immatriculé F-BANT  effectua son 1er vol le 19 mars 1945. Il est reçu par Air France fin juillet et débute sur la ligne de Dakar. Il part ensuite en Amérique du Sud où il fait des démonstrations de prestige. Le 31 octobre 1945, les pales d’une hélice se détachent et tuent 2 passagers en traversant le fuselage, l’appareil réussit à se poser et, et une fois réparé, regagne la France.
Suite à une demande faite au centre de documentation du musée de l »hydravion de Biscarosse concernant la date du ferraillage du Laté 631 n°2 immatriculé F-BANT, celui ci m’a fait parvenir un extrait d’un rapport de l’inspection générale de l’aviation civile daté du 13 avril 1959 faisant un état des lieux de l’hydrobase de Biscarrosse-Hourtiquets. Il y est fait mention de l’occupation d’un des hangars par un Laté 631 de France hydro. Il ne peut s’agir que du F-BANT qui devait être transformé en cargo comme le F-BDRE accidenté en 1955 au Cameroun.
C’est le seul document de leurs dossiers certifiant la présence de l’appareil aux Hourtiquets en 1959.
Un ancien du CEV ayant séjourné aux Hourtiquets au début du changement d’affectation du site pour le CEL se souvient très bien de la présence de l’appareil en 1963, ce qui serait confirmé par le registre de la DGAC qui indique que le « Lionel de Marmier » dernier survivant des 12 LATÉ 631 a été réformé le 30 octobre 1964.

Sonde de l’anémoclinomètre

(2) L’Anémoclinomètre est un appareillage de détermination des composantes du vecteur vent en un point d’un écoulement gazeux à partir de mesures de pression (statique et différentielles) effectuées par une sonde à tête sphérique (sphère  ou sonde cylindro- sphérique pour avion). Associé à un enregistreur rapide, ce dispositif permet d’analyser les turbulences et d’optimiser les profils aérodynamiques.

Pour compléter ce texte, je vous recommande ce diaporama très riche en image et qui résume l’histoire de cet hydravion géant « LATECOERE 631 Le géant des airs »
Vous pouvez voir les derniers vestiges (fauteuil, hublots, lavabo, hélices, etc) des LATE 631 au musée de l’hydraviation de Biscarosse .

Sources des informations :
Georges Rollin
Docavia n°34 « Latécoère, les avions et hydravions » de Jean Cuny :
Le Fana de l’Aviation « Laté 631 La malchance » n°393 août 2002 au n°397 décembre 2002
Association P.-G Latécoère : http://www.latecoere.com/
Pionnair-GE : http://www.pionnair-ge.com/spip1/spip.php?article61
Le musée de L’hydraviation : http://www.hydravions-biscarrosse.com/002-musee/musee-accueil.php