Paul Legastelois, organisateur de la croisière bleue ©Anseaume
À priori, rien ne destinait Paul Legastelois, à faire carrière dans l’aviation.
Son père, fils de petits paysans, devenu notaire, officiait à Sourdeval, dans la Manche. C’est là que Paul est né, en 1905. Suivant les traces paternelles il avait fait l’école de notariat de Paris et avait commencé à travailler comme clerc dans l’étude de son beau père, lui aussi notaire, à Saint Lô.
Mais cette vie si étroitement rangée ne lui convenait pas et, s’il n’en dit mot, son organisme réagit bientôt par de fréquents évanouissements. Consulté, le médecin déclara que « ce jeune homme n’était pas fait pour la vie de bureau et devrait vivre « en plein air ».
Le conseil de famille se réunit autour de Paul et de sa jeune épouse pour réfléchir aux issues possibles. On ne sait comment la discussion se termina sur cette conclusion : deux professions permettraient à Paul de vivre au grand air : paysan ou aviateur !
– Paysan ? s’exclama Paul. Jamais ! Je serai aviateur.
Paul Legastelois devant son premier Caudron Luciole F-ALSJ en 1932 à occasion de sa participation au second Tour de France des avions de Tourisme ©Legastelois
Nous sommes alors en 1930. Laissant sa famille à Saint Lô, Paul part à Paris où il passe rapidement son brevet de pilote. Ce document en poche, il va trouver René Caudron, l’un des pionniers de l’industrie aéronautique française, pour lui demander une place de pilote-représentant.
« Jeune homme, lui répond Réné Caudron, je veux bien vous embaucher, mais à condition que vous achetiez l’avion avec lequel vous travaillerez … et avec lequel vous vous tuerez certainement ! »
Paul Lagastelois avec une passagère devant son Caudron Luciole F-ALSJ à Lyon-Bron en 1932 ©Legastelois
Accord conclu. Paul emprunte de l’argent à son beau-père, achète un Luciole et bientôt sillonne la France, présentant son biplan dans les meetings aériens. Il manifeste vite de réels talents de vendeur que René Caudron apprécie fort et poursuit jusqu’à la guerre une carrière où se conjuguent commerce et pilotage. Pour le travail et pour le plaisir : Paul participe ainsi en 1932 au
deuxième Tour de France des avions de tourisme avec son Caudron Luciole (F-ALSJ) se classant à la 22 ème place sur les 47 concurrents classés à l’arrivée, 14 ayant terminé 1er ex-aequo, puis au Rallye du Hoggar en 1938 aux commandes d’un Farman 403 (F-ANPX).
Une panne de moteur le contraint à l’abandon à In Salah.
Paul Legastelois en panne à In Salah avec son Farman 403 F-ANPX ©Legastelois
En 1939, mobilisé dans l’armée de l’air comme pilote-instructeur, Paul est affecté à la base aérienne de Caen. La naissance de son quatrième enfant le rend à la vie civile quelques mois plus tard.Il n’est plus question de vendre des avions de tourisme pendant la guerre. Paul monte un garage où l’on adapte les voitures au gazogène. Mais dès 1945, il retrouve le milieu de l’aviation et crée à Neuilly l’Agence aéronautique Legastelois, qui vend des avions de tourisme, puis de transport, et la société « Tout pour l’avion » qui fournit à ses clients des pièces détachées. C’est l’époque où la SCAN lance sur le marché le Norécrin un petit bijou dont Paul devient vite le vendeur quasi exclusif. Il en expose un exemplaire au premier salon de l’aviation de l’après guerre qui se tient sous la coupole du Grand Palais à Paris en novembre 1946.
Les Norécrins réunis à Tunis lors de la croisière bleue de 1948 ©Anseaume
En 1948, pour promouvoir ce si joli monoplan à aile basse et train rentrant, il organise, avec le soutien de la SNCAN, La « Croisière bleue » : 22 Norécrins font le tour de la Méditerranée : Toussus-le-Noble, Naples- Tunis- Bône – Alger – Boufarik – Oran – Rabat – Marrakech – Agadir – Casablanca – Tanger – Porto – Biarritz – Tours Toussus-le-Noble.
Paul Legastelois est alors président de la chambre de commerce de l’aéronautique.
Avec la période de l’après guerre le marché de l’aviation connaît un développement considérable. Pour monter leur flotte, les nombreuses compagnies qui se créent dans toute l’Europe et dans les colonies, ont recours au gigantesque marché d’appareils d’occasion né des surplus militaires. « Tout pour l’avion » devient bientôt « Centravia ». Installée cité Canrobert, dans le 15è arrondissement de Paris, la société dispose d’un entrepôt sous douane pour les pièces de rechange. Quand à l’agence aéronautique Legastelois, elle ne vend plus seulement des Norécrins et autres appareils de tourisme, mais des Dragons rapides Dehavilland, et bientôt des Douglas DC3 « Dakota », voire même un DC4 que Paul va acheter aux Etats-Unis pour le compte d’un client. L’agence est le représentant en France du constructeur britannique Auster.
La guerre d’Indochine a créé un nouveau marché. L’armée de l’air y est en effet peu présente et les missions de ravitaillement des postes isolés sont confiées à diverses petites compagnies civiles. Le Dakota est l’avion idéal. Paul fait, à l’époque, de fréquents séjours à Saïgon. La compagnie Aigle Azur est l’un de ses principaux clients.
A Paris, l’Agence et la société Centravia connaissent des années prospères. Paul emploie une dizaine de collaborateurs, dont une femme extraordinaire : Miss Roy Mary Sharpe, squadron leader dans la RAF pendant la guerre.
La fin de la guerre d’Indochine, puis l’indépendance de l’Algérie sonneront le glas de ce flux commercial. Dans le même temps, les grandes compagnies se sont développées au détriment des petites. Elles achètent désormais de plus en plus d’appareils neufs. En 1958 Paul dissout la société Centravia et, peu après, met fin aux activités de l’agence. Il s’installe dans les Alpes Maritimes où il entame une carrière d’agent et de promoteur immobilier.
De L’accident qu’il eu avec son Caudron Luciole, Paul Legastelois s’en tirera juste avec le nez cassé ©Legastelois
La page de l’aviation est alors tournée pour Paul Legastelois, mais elle n’est certes pas effacée de la mémoire de ses enfants. Comment, en effet, oublier le plaisir de ces dimanches passés au bord de la piste, à Toussus-le-Noble ou Guyancourt, les salons de l’aviation du Bourget, le baptême de l’Air donné par son propre père, les récits de vols passionnants, voire d’accidents dont Paul eut la chance de se tirer sans autres conséquence qu’un nez cassé … « J’ai la baraka » disait-il en évoquant aussi ces deux avions de ligne qui s’écrasèrent et dans lesquels il aurait dû se trouver si un imprévu ne lui avait fait manquer le départ.
Paul Legastelois est mort, à Vence, le 24 décembre 1977.
Jean Legastelois